Historique

Saint-Gingolph s’offre au regard du visiteur comme un charmant village au pied du Grammont, séparé en deux par la Morge. Ce torrent symbolise une frontière qui n’existe que sur le plan administratif. En effet, depuis toujours, les habitants de ce bourg ne forment qu’une seule entité face au destin.

 

Ainsi, depuis sa création, en 1885, la société de sauvetage de Saint-Gingolph compte dans ses rangs des membres des deux rives. Des générations de sauveteurs se sont succédées au rythme des saisons et des années au port de la Bâtiaz pour surveiller les naus de pêche, les cochères, les naviots, les bricks, les corsaires et les baigneurs, malgré les coups du sort, pour ne s’intéresser qu’à une seule chose : sauver des vies !

 

 

Les fondements

 

Pour reprendre l’idée d’Albert Dunant, membre fondateur de la SISL, l’ombre et la lumière se succèdent sur l’histoire de notre société locale.

 

Officiellement créée le 11 octobre 1885 à Nyon, lors d’une réunion du comité central, la section de Saint-Gingolph s’est trouvée brisée dans son élan par le décès brutal de son promoteur, Pierre F. Derivaz. Ce dernier en terre, personne dans le village ne veut relever le flambeau. Il faut attendre le 29 mai 1887 pour que l’espoir reprenne, au travers d’une dizaine de villageois exerçant des métiers du lac. Ils se regroupent et fondent la section par un engagement solennel. Parmi eux, Benjamin Derivaz, constructeur et réparateur de barques, prend la première présidence. Le 26 juin 1887, la section est admise au sein de la SISL.

 

La première unité, baptisé « Etoile-Bleue », voit le jour au mois de juin 1889, mais les archives manquent cruellement sur cette embarcation dont nous parlent les anciens. Elle rejoint presque la légende lorsqu’elle apparaît dans le récit du sauvetage de la Marguerite-Hélène, le 5 janvier 1906. Cette barque s’était retournée au large du quai français suite à un ouragan, entraînant avec elle son équipage que l’on sauva in extremis. Seul un dénommé Christin était resté emprisonné à l’intérieur de l’épave. Quand « Etoile-Bleue » put enfin aborder cette barque, le lendemain au matin, on perça un trou dans la coque et le rescapé en jaillit comme un bouchon de champagne.

 

 

Les années 30 : le renouveau

 

En 1928, la vénérable baleinière fut déclassée par le comité central, ce qui obligea la section de Saint-Gingolph à construire un nouveau canot au chantier naval Ducret à Lugrin. Cette nouvelle « Etoile-Bleue » est une baleinière en bois, longue de 10,3 m et large de 2,35 m. Elle possède 12 tolets et peut accueillir jusqu’à vingt personnes. Toujours en activité dans notre section, elle a servi jusque dans les années 1980 comme principale unité d’intervention grâce à l’appui d’un moteur auxiliaire qu’on installait sur le côté. Son hangar se dresse fièrement, malgré les effondrements du sol, à l’entrée du port de la Bâtiaz. Pour la petite histoire, l’ancienne baleinière chercha à trouver un acheteur par voie de petites annonces dans la presse de l’époque…

 

L’inauguration du nouveau bateau a lieu en 1929 et la société organise comme si de rien n’était une poule, compétition interdite par le comité central 4 ans plus tôt ! Certains n’hésitent pas à y voir l’indépendance de caractère des Gingolais !

 

En 1931,  la section est rappelée à l’ordre par M. Jacottet : « Si une section ne participe pas à la plonge et aux soins aux noyés, elle se verra exclue des courses de canot…» Dès lors, notre équipe s’organise pour trouver des volontaires devant la menace ! Aujourd’hui, le problème demeure ! La plonge reste la bête noire de notre société car il est difficile d’aligner quatre bons nageurs locaux face à la concurrence de certaines équipes. On raconte que certains de nos plongeurs, lors d’une fête centrale fort lointaine, tardèrent à remonter, jouant le rôle de véritables mannequins.

 

 

Le souffle de la guerre

 

En 1940, la section traverse l’orage de la guerre avec peine. En effet, ses membres suisses sont mobilisés. Quant aux français, ce n’est pas mieux : ils sont sous les drapeaux, dans le maquis ou faits prisonniers. Les entraînements subsistent grâce au renforcement des soldats suisses stationnés au village et qui appartiennent souvent à des sociétés sœurs vaudoises. Ainsi, le 17 mai 1942, un soldat du train, emporté par sa monture au large de la Bâtiaz , panique et s’accroche à la tête de son cheval qui s’enfonce sous l’eau. Grâce à l’intervention courageuse de Messieurs Weber, Chaperon et Cappey, de la section de Villeneuve, le malheureux est ramené à la vie au bout de dix minutes par la pratique de la respiration artificielle. Preuve que la plonge et les soins aux noyés sont nécessaires à un sauveteur.

 

Juillet 1944, Saint Gingolph vit les heures les plus noires de son existence : la partie supérieure du village français est incendiée par les nazis en guise de représailles. En effet, le maquis avait attaqué le poste frontière du village les jours précédents. Dans cette tragédie, deux de nos membres, René Boch et Elie Derivaz, font partie des huit personnes fusillés par les S.S.

 

 

Les années glorieuses : les « ours » !

 

L’après-guerre appelle à une modernisation que notre société ne peut suivre, faute de moyens. Ne pouvant se motoriser, elle entraîne de solides gaillards qui, comme leurs pères, continueront à braver les coups de tabac à la force des bras. Ils deviendront les terreurs des concours du Haut-Lac. Pour se rendre à ces concours, ils prendront les lignes régulières de la Compagnie Générale de Navigation. Les soirées sont épiques sur les navires et les chants racontent de drôles de complaintes… De temps en temps, on se retrouve sur le même pont que les adversaires du village voisin !

 

Pour la deuxième fois après 1926, Saint-Gingolph panse ses blessures en organisant la Fête Internationale de 1946, ce qui permettra à la société de se mettre un peu d’argent de côté en vue de sa modernisation. L’Internationale est pour la société l’occasion de sortir en famille et de faire le tour des bonnes tables du Léman. Les résultats suivront selon l’humeur des rameurs.

 

Le 12 mars 1963, le drame frappe à nouveau notre société avec le naufrage du chaland « Aubonne », au large du village. Après deux jours de recherches désespérées des corps, « Etoile-Bleue » rentre au port épuisée. Le bilan est lourd : quatre disparus dont trois membres : François Fornay, Sylvain Bénet et Raymond Bénet.

 

Les années se suivent et la société, en économisant, en organisant un loto le dimanche du Jeûne, et en organisant des fêtes, arrive en 1979 à acquérir enfin un local. Il se trouve côté français, à la « Résidence de France ». L’achat de ce local lors d’une vente aux enchères est une véritable aventure rocambolesque dans le dédale administratif français. Mais rien n’est impossible pour un sauveteur ! S’il faut plonger dans la paperasse, ce sera moins froid que dans le lac!

 

La société peut alors organiser ses archives dans ce nouveau local, et entreposer ses trophées, dont deux vases de Sèvres. Un troisième aurait dû y figurer, mais les anciens prétendent ne l’avoir jamais reçu ! A la place,ils défilèrent avec un pot de chambre dans les rues du village. Certains prétendent qu’il n’y avait pas de vase cette année-là. Laissons à l’histoire ses mystères…

 

 

La relève : « Etoile-Bleue II »

 

1987, le rêve des plus vieux se réalise : la société inaugure son nouveau moyen d’intervention rapide, « Etoile-Bleue II ». Elle a fière allure cette vedette, un Boston Whaler Revenge 20 Outrage avec une puissance de 150 CV. Mais le rêve se ternira vite avec les tracasseries administratives des gens de Sion. Et à chaque nouveauté, la caisse de la société souffre. Un fonctionnaire zélé ira jusqu’à faire retirer la mousse d’origine autour des réservoirs d’essence car il ne la trouvait pas dans le règlement. « Amiral des bateaux lavoirs » comme le disait le brave capitaine Haddock ! Sans compter les déboires relatifs à la formation des jeunes pilotes et des moins jeunes, et à coups de nouvelles hélices, la modernité coûte cher !

 

 

Le passage aux XXIe siècle

 

Les années s’enchaînent au rythme des compétitions du Super-Challenge, un championnat fait les beaux jours durant quelques années. Notre société s’y engage et à le plaisir de remonter une équipe féminine de rame. Mais aujourd’hui il faut retrouver un second souffle à nos courses afin d’attirer du monde au bord du lac.

 

L’année 2000 est importante pour le petit monde de Saint-Gingolph. En effet, le port de la Bâtiaz accueille «L’Aurore» dans un enthousiasme général. Bien entendu, « Etoile-Bleue » veille à ce que la bonne humeur demeure. Notre vérénable barque escorte dans la parade nautique sa grande sœur, la cochère, avec le doux plaisir de voir renaître les embarcations de sa première jeunesse.

 

2001 s’annonce aux couleurs de « La Liberté », la galère sortie du chantier naval de Morges, où notre société joue le premier rôle en escortant la marraine jusqu’à la proue de bois du monstre lacustre. La bouteille de champagne libère avec son flot de bulles la renaissance de notre patrimoine, de nos racines, de notre passé.  À l’automne, la rénovation de notre baleinière par nos membres permet à notre illustre canot d’affronter le XXIe siècle sans soucis.

 

 

Cap sur demain

 

Depuis 2002, nous organisons chaque fin d’année scolaire une présentation du sauvetage aux jeunes de Saint-Gingolph afin d’éveiller le souci de la relève. Nous espérons poursuivre leur formation de sauveteurs dans notre école du lac. Nous nous engageons à soutenir les grandes causes de générosité et de solidarité, comme le Téléthon.

 

En 2005, nous commençons une nouvelle aventure avec un nouveau local, et à l’horizon 2010 se dessine la 125e Fête Internationale. Cette magnifique fête, amplement réussie et saluée par les sauveteurs lémaniques, peut nous permettre d’engager un nouveau projet d’importance : « Etoile-Bleue III », la vedette du renouveau !